
🥘 Les poteries culinaires Rudimenterre, ou comment cuire plus avec moins
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La low-tech, c'est un état d'esprit autant qu'une démarche. Parmi les rencontres récentes que nous avons pu faire dans le cadre du projet Lowreka, une personne représentait parfaitement cet état d'esprit low-tech : Carole Briet, céramiste et conceptrice des "Cuicuis", les poteries culinaires de sa marque Rudimenterre.
En parallèle de l'intégration de ses poteries culinaires à notre catalogue d'objets low-tech, nous avons en effet pu échanger avec Carole pour parler des origines de Rudimenterre, de la fabrication et des spécificités de ses poteries, de sa vision de la low-tech plus largement, ainsi que de ses projets d'avenir.
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Carole Briet
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Lowreka : Carole, peux-tu nous expliquer comment et pourquoi tu as lancé Rudimenterre et la création de tes Cuicuis ?Â
Carole Briet : Je me suis très tôt intéressée à l'enjeu de l'éco-conception. J'ai d'abord été 15 ans de ma vie designer d’intérieur en France, spécialisée dans la rénovation du bâti ancien et l’éco-habitation. J'avais à l'époque un rôle de prescriptrice de solutions écologiques et de professionnels qui étaient au fait des principes de l'éco-conception, parce que cela commençait à devenir un enjeu important dans le domaine.
C'est dans ce cadre que j'ai découvert l'argile en tant que matière première, et que je me suis formée à son utilisation. En plus de découvrir tout son potentiel, j’adorais travailler cette matière crue.
Ensuite, je peux dire que le Cuicui n’aurait jamais vu le jour si je n’étais pas devenue franco-canadienne ! Je me suis installée en 2012 au Canada avec ma famille, et j'y ai découvert un mode de vie « américain » très différent du mode de vie « européen ».
L’immensité du territoire et l’abondance des ressources naturelles relèguent les préoccupations écologiques à l'arrière-plan. Pourquoi diable économiser l’eau ou l’électricité quand l’eau est gratuite et l’hydro-électricité coule à flot. Pourquoi entretenir alors qu’il suffit de remplacer ?
Les matières naturelles qui vieillissent et s’entretiennent ont donc progressivement perdu leur place sur ce continent depuis l’arrivée des premiers colons pour laisser place à des matières artificielles inertes, stériles, lavables et jetables. Mais la standardisation de ces matières fabriquées restreint nos choix, uniformise les tendances et nivèle les spécificités.
Dans l’industrie céramique par exemple, on n’extrait plus de l’argile sous nos pieds : on fabrique une pâte standardisée pour qu’elle soit facile et rapide à travailler, avec des matières premières très souvent importées. Les potiers ont perdu ainsi le lien avec leur terre.
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Une cuisson au Cuicui en pleine préparation
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Cette uniformisation touche tous les secteurs, y compris alimentaires. Difficile de ne pas perdre ses repères dans ce nouveau pays où le litre de Coca est moins cher que celui d’eau minérale, où les produits frais et naturels sont chers et noyés dans la surabondance de produits bon marché ultra transformés.
L’offre étant différente, pour continuer à manger sain, on n’a pas le choix que de changer ses habitudes de consommation. C’est ce qui m’a poussé à voir au-delà de l’aliment et à m’intéresser à leurs modifications lors de leur cuisson, et donc à l’incidence des matériaux des plats dans lesquels on les cuit. On est en 2014, et mes découvertes me font peur, et c’est là que je décide de virer de ma cuisine toutes mes poêles et plats en téflon, ainsi que notre micro-ondes.
Je dois alors trouver des alternatives et c’est là que je fais le lien avec les connaissances que j’avais des propriétés thermiques de l’argile. Car lors de mes recherches pour améliorer notre quotidien d'un point de vue nutritionnel, c'est toujours vers des cuissons douces dans des plats en terre que j'ai été renvoyée : la Chamba colombienne, le Yunnan chinois et sa cheminée centrale… j'ai même depuis réalisé un atlas des cocottes en terre.
Je me suis ainsi rendu compte de quelque chose d'assez fascinant : les recettes culinaires locales de chaque région du monde découlent directement des formes et du façonnage des plats traditionnels locaux… et donc du type d'argile sous les pieds des gens ! La terre dicte ce que l'on mange, d'une certaine manière.
Mais ne trouvant pas localement les plats en terre que je voulais pour cuisiner sainement et efficacement, c’est là que j’ai voulu en fabriquer moi-même. C’est ainsi que j'ai créé Rudimenterre, imaginé puis fabriqué les premiers Cuicuis, des plats en terre pour des cuissons douces parfaitement équilibrées mais rapides, adaptées à notre époque.
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Les différents composants du Cuicui
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L : Et justement, comment fabriques-tu tes poteries culinaires ? Quelles sont les spécificités de ce processus ?Â
C.B. : Lorsque j'ai repris des études pour apprendre les métiers d'art et ainsi apprendre la transformation de l’argile pour la cuire cette fois-ci, c’est essentiellement la technique classique du tournage que l'on m'a apprise. J'ai pourtant vite compris que cela ne conviendrait pas pour ce que je voulais créer.
En effet, les Cuicuis sont de grosses pièces, physiquement épuisantes à fabriquer par la technique du tournage, au quotidien et sur du long terme. En parallèle, l’exigence d’avoir des pièces qui s'emboîtent parfaitement posait problème, et il y avait trop de perte. J’ai donc rapidement envisagé une autre technique : le calibrage.
Cette méthode consiste en un moule en rotation déterminant la forme extérieur de la pièce à réaliser, et d'un calibre en mouvement pour créer le profil intérieur. La technique nécessite moins de force et permet plus de précision.
Image d’un Cuicui encore tourné, à l’étape de tournassage
L : Peux tu maintenant nous expliquer comment marche-t-il, ce Cuicui ?
C.B. : Le Cuicui est un plat de cuisson domestique en terre cuite, modulable et polyvalent. Il permet de cuisiner de manière plus écologique en consommant le minimum d'énergie et d'eau potable. L'idée est de mutualiser la chaleur pour réaliser plusieurs cuissons douces en simultanée, grâce à une ancienne méthode saine, économe et rapide : la vapeur-étuvée.
Rapide en effet : le Cuicui atteint les 90° degrés en 6 minutes, à ma connaissance, aucun autre plat en terre ne monte aussi vite en température ! Habituellement la terre doit monter progressivement en température pour ne pas subir de choc thermique. Mais là , avec la Cuicui, la terre n’est pas en contact direct avec le feu, c’est la vapeur qui chauffe, et la vapeur, ça va vite !
En mode vapeur-étuvée, la cuisson est donc indirecte, les récipients sont superposés sur une seule source de chaleur : une marmite d'eau, en ébullition sur des plaques.
De l'eau qui peut-être potable ou non, cela n'a pas d'importance : l’eau n’est pas en contact avec les aliments et surtout le Cuicui distille cette eau en ébullition par évaporation/ condensation. Recueillie ensuite dans le Cuicui, cette eau est donc pure et débarrassée de tout métaux lourds et micro-organismes.
Le Cuicui est en céramique brute microporeuse (émaillée sans plomb pour les surfaces en contact alimentaire), et il peut aussi aller au four traditionnel, jusqu'à 230°C.
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Schéma vous montrant les différents flux à l’intérieur des poteries (ici sur 2 étages,
 et donc 2 plats distincts en cours de cuisson)
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Mon idée, avec les Cuicuis, est de proposer un outil qui soit le plus polyvalent possible : 4 modes de cuissons douces (vapeur-étuvée, bain-marie, vapeur tradi et four), une présentation vivante et conviviale, un stockage ergonomique et ludique avec le couvercle ardoise.
En mode vapeur-étuvée, on peut cuire et réchauffer simultanément différentes préparations avec un seul feu allumé, pour garantir plus de 50% d’économie d'énergie. Seule la vapeur et la chaleur communiquent entre les différents récipients et permettent de cuire, par exemple, une compote en même temps qu’un ragoût et qu’un plat de riz, ou même de réchauffer des plats en même temps qu'une cuisson.Â
Pour vous aider à apprivoiser le Cuicui, je livre un carnet de recettes avec chaque Cuicui adopté, ainsi qu’un petit illustré pour les recettes étagées !
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Un exemple de Cuicuis disposés en étages, avec différentes cuissons prêtes à être servies
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L : Te considères-tu comme une créatrice low-tech ?Â
C.B. : Carrément ! Le Cuicui est un objet qui à mon sens s’inscrit complètement dans la démarche low-tech. Un objet simple qui va à l’essentiel avec lequel tu peux faire énormément de choses et qui reste totalement déconnecté du réseau… mais reconnecté au vivant !
J’ai souvent eu la réflexion de clients qui me disent que le Cuicui est un peu le Thermomix low-tech. C’est pas faux ! Le Cuicui permet de remplacer beaucoup d'autres types de plats et d'usages, en plus de mutualiser les cuissons, comme je l'expliquais. Un autre aspect du Cuicui est à mon sens complètement dans la démarche low-tech : le Cuicui repositionne l’usager au cœur de la cuisine. Plutôt que d’appuyer sur un bouton, au contraire il nous redonne envie de cuisiner ensemble, de mutualiser et partager pour redonner sens et goût à notre alimentation.
Le Cuicui est inspiré de l'histoire des méthodes de cuisson traditionnelles qui ont un point commun : ce sont des cuissons douces ! C'est intéressant de prendre l'exemple du Tajine : normalement, c'est une cuisson très lente. Mais comme nos modes de vie et de consommation nous poussent à faire très vite, de nouveaux plats à Tajine sont apparus, pour cuire beaucoup plus vite sur un feu direct… mais ce qui déséquilibre la cuisson au détriment de l'aspect nutritionnel.
S'il y a un reproche que je peux faire à l'écosystème de la low-tech, c'est qu'il s'intéresse surtout aux économies d’énergie. Mais pour moi, l’enjeu de demain le plus important est l’eau potable. Or, le Cuicui permet de cuisiner sans eau potable : il préserve l’eau des aliments et, comme un distillateur, produit de l’eau pure évaporée. Il permet ainsi de minimiser une ressource à mes yeux si précieuse et essentielle en cuisine : l’eau potable.
Avec cet aspect, le Cuicui nous rend vraiment autonome.
Et en parlant d’autonomie, c'est aussi ce qui me plaît dans le fait d'être présent au sein d'un catalogue comme Lowreka, qui nous aident à toutes et tous devenir plus autonomes sur tout un ensemble de domaines. Regrouper tous les acteurs du domaine, c'est très intéressant pour diffuser et démocratiser cette offre encore mal connue.
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 Les coulisses de l’atelier où Carole créé les Cuicuis
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L : Tu es aujourd'hui toujours basée au Canada, mais tu souhaites relocaliser ta production en France. Tu peux nous en dire plus ?
C.B. : Tout à fait. Une grande majorité de mes acheteurs sont aujourd'hui basés en Europe. Et si j'utilise des moyens de livraison les plus écologiques possibles, la logique veut qu'il me faut une solution pour limiter cet impact au maximum.
Mais surtout, comme je le disais plus tôt : l'intérêt de l'argile, c'est de travailler de la terre locale… je suis donc en train de chercher le bon partenaire pour produire mes Cuicuis en France. Je vous tiendrai au courant !
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Merci à Carole pour ses réponses, c'était un échange passionnant ! Retrouvez ses poteries culinaires sur la plateforme Lowreka en divers formats : Aventurier, Pragmatique et Gourmet 🤗
À bientôt sur le blog Lowreka et nos réseaux pour un prochain échange avec un fournisseur Lowreka.